Perspectives 2022 : une économie plus résiliente malgré la persistance du virus


Au moment d’écrire ces lignes, l’année 2021 est presque terminée. Qu’on le veuille ou non, 2021 sera elle aussi catégorisée comme l’année du coronavirus. Avec, cependant, une lueur d’espoir: la vaccination massive. Son impact sur la santé des personnes et sur l’économie laisse entrevoir un avenir moins sombre. Parallèlement, la reprise économique reste sur la bonne voie. Olivier Colsoul, Senior Strategist chez AG, joue le jeu des prévisions pour les années à venir.

2020 aura été l’année du coronavirus. 2021 est celle du vaccin. Quel a été son impact sur le monde macro-économique ?

En 2020, le confinement a paralysé l’économie dans de nombreuses régions du monde. L’indice PMI, qui reflète la confiance des chefs d’entreprise et qui évalue ainsi l’évolution de la reprise de l’économie, est en outre passé en avril de 55 à moins de 15 à l’époque. Avec la vaccination massive dans le monde, l’indice PMI s’est beaucoup mieux comporté. Bien qu’il ait atteint un pic et qu’il ait connu un petit coup de mou, il a rebondi au-dessus de 55 en octobre 2021 pour la zone euro et les Etats-Unis. Pour rappel, un niveau supérieur à 50 indique une expansion de l’activité économique. De leurs côtés, la Chine et les marchés émergents ont vu leur niveau de PMI faiblir entre 45 et 50 avant de se reprendre quelque peu en octobre 2021. La vaccination a donc un impact très positif sur l’économie globale. Le taux de vaccination en zone euro et aux Etats-Unis est bon mais il pourrait être encore meilleur. Par contre, la dernière ligne droite vers une vaccination maximale semble plus difficile et, si les pourcentages progressent, ils le font beaucoup plus lentement. Cela étant, une nouvelle vague de contamination a frappé l’Europe en fin d’année 2021. Même si les contaminations grimpent, avec plus ou moins la même amplitude qu’il y a un an, la vaccination permet de nettement moins saturer les hôpitaux, en tout cas jusqu’ici. Cette situation n’est pas pour autant confortable et elle semble continuer à se dégrader, ce qui a poussé les autorités à prendre des mesures de restrictions mais moins draconiennes que lors des précédents confinements.

La reprise est-elle sur la bonne voie ?

Le début de l’année 2021 a connu encore un léger tassement compte tenu des restrictions liées au second confinement. Ensuite, nous avons observé une croissance très vigoureuse au cours du deuxième et du troisième trimestre mais cela s’est accompagné par un réveil inattendu de l’inflation à des niveaux que l’on n’avait plus vu depuis la crise financière. En cause, la hausse importante des prix énergétiques -pétrole, gaz … - mais aussi une forte poussée des prix des biens manufacturés qui résultent d’une forte demande et d’une offre insuffisante (goulets d’étranglement). Même si pour l’instant l’inflation ne montre pas encore de signe d’infléchissement, ces deux facteurs devraient pouvoir s’atténuer avec le temps, ce que martèlent les banques centrales depuis quelques mois, tout en reconnaissant avoir sous-estimé le caractère transitoire de cette inflation. Cela laisse à supposer que l’inflation se stabilisera sans doute à un niveau supérieur à ce qu’on connaissait avant la pandémie. Ce regain d’inflation, la persistance des goulets d’étranglement dans le secteur manufacturier ainsi que la résurgence du virus vont atténuer la dynamique économique au dernier trimestre de l’année et un peu au-delà. D’un point de vue économique, nous allons connaitre un épisode de croissance un peu plus modérée ainsi qu’une inflation élevée mais qui n’a rien à voir avec la stagflation des années 70. Le cycle économique actuel n’est certainement pas terminé. La croissance devrait d’ailleurs rester supérieure à son potentiel de long terme en 2022, avant de converger vers celui-ci par la suite.

Constatez-vous des différences régionales ?

Dans la zone euro, le plan de relance européen, dont la mise en œuvre a débuté en 2021, est particulièrement important, notamment pour des pays comme l’Espagne et l’Italie, qui ont été plus durement touchés par le premier confinement et qui ont parfois moins bien rebondi dans le cas de l’Espagne par manque de touristes. Ce plan marque une réelle volonté de renforcer l’économie pour faire mieux qu’après 2008. A la fin du troisième trimestre 2021, plusieurs pays comme la Belgique, les PaysBas et la France ont récupéré, ou presque, le niveau de richesse nationale qu’ils avaient fin 2019. Aux Etats-Unis, la victoire totale de Joe Biden, y compris au Congrès, a permis l’adoption de nouveaux programmes de soutien financier très généreux vis-à-vis des chômeurs et des ménages. Cela a eu pour effet de doper les dépenses privées, surtout celles de biens d’équipement, et de faire quasi surchauffer l’économie américaine avec en corollaire un bond spectaculaire de l’inflation. A présent, le rythme d’expansion s’est atténué mais reste toujours bien solide. Quant à l’inflation, elle poursuit son ascension. Si comme en Europe, certains facteurs sont de nature transitoire, d’autres éléments sont plus structurels. La progression des salaires et l’amélioration du marché de l’emploi devraient continuer à soutenir la consommation des ménages. De même que les très fortes performances boursières contribuent à alimenter l’effet de richesse. Contrairement aux autres grandes régions, la Chine a fortement décéléré et a déçu en 2021. Le ralentissement de la croissance peut être expliqué par l’évolution de la situation sanitaire (résurgence du virus, politique sanitaire « zéro COVID », vaccination tardive), les problèmes rencontrés dans le secteur manufacturier (goulets d’étranglement), la hausse des prix de l’énergie, la fermeture temporaire de centrales au charbon très polluantes, et surtout la volonté politique de reprendre le contrôle de certains secteurs d’activité dont la technologie et de réfréner la croissance du crédit dans le secteur immobilier (déboires du promoteur chinois Evergrande). Ces problèmes sont d’ordre domestiques et n’affectent pas vraiment le commerce extérieur de la Chine, nécessaire au bon fonctionnement de « l’usine du monde ».

Les banques centrales ont pris des mesures inédites au cours des deux dernières années. Arrivent-elles à maintenir le cap ?

Il faut bien comprendre que l’économie s’est effondrée à la fin du premier trimestre 2020. Sans les mesures de soutien prises par les gouvernements et les banques centrales, tant par la Banque centrale européenne (BCE) que par la Réserve fédérale (FED), l’économie n’aurait jamais pu se relever. La Chine, en revanche, a soutenu son économie en octroyant des prêts massifs aux acteurs-clé de l’économie. Tous ces efforts ont permis d’éviter le pire. Fin d’année 2021 et début de l’année 2022, les banques centrales vont connaitre une gestion plus délicate de la normalisation graduelle de leur politique monétaire. Comme annoncé, la FED a amorcé sans heurts la réduction des rachats obligataires et prévoit d’adopter une position plus agressive et ce, en laissant entrevoir un cycle avancé des taux d’intérêt. De son côté, le nouvel objectif d’inflation symétrique de la BCE signifie en principe une politique monétaire ultra-accommodante plus longue mais, à mesure que l’inflation progresse, les attentes pour l’avenir sont également orientées à la hausse. Cela étant, les taux directeurs européens ne devraient guère voire pas bouger en 2022. En revanche, les rachats d’actifs effectués par la BCE devraient tout de même diminuer sensiblement, à mesure que les effets de la pandémie s’estompent.

Que nous réserve 2022 selon vous ?

Comme je l’ai dit précédemment, nous nous attendons à la poursuite du cycle économique à un rythme moins spectaculaire qu’en 2021 mais toujours supérieur à la tendance de long terme. Nous tablons sur le maintien d’une forte demande de la part des consommateurs, soutenue par l’amélioration du marché de l’emploi - baisse du chômage -, un surplus d’épargne confortable - constitué durant les confinements - et une augmentation notable des crédits aux ménages - taux d’emprunt très bas. Le principal bémol provient d’une inflation élevée qui devrait persister durant la première moitié de l’année. En effet, les tensions inflationnistes ne se modèrent toujours pas en amont de la chaîne des prix tant la demande dépasse l’offre. En somme, les ménages se plaignent de l’inflation mais continuent de dépenser. Fin de l’année 2021, ce scénario a quelque peu perdu de son intensité avec l’annonce de nouvelles restrictions, l’augmentation des hospitalisations dues au COVID et l’apparition d’un nouveau variant jugé préoccupant, par sa contagiosité mais peut-être moins par sa dangerosité. Malgré ces écueils, l’économie a su montrer une forte résilience et une capacité d’adaptation, ce qui est plutôt rassurant.

Que pouvez-vous nous dire concernant la politique monétaire en 2022 ?

Aux Etats-Unis, la tendance devrait être haussière, certainement pour les taux directeurs, probablement pour les taux à court terme - 2 ans - mais sans doute de façon plus ténue pour les taux à long terme - 10 ans. Cela signifie une courbe plus haute mais qui a tendance à s’aplatir. En Europe, compte tenu d’une perspective plus lointaine de remontée des taux directeurs, les évolutions à la hausse devraient être plus ténues qu’outre-Atlantique. En termes absolus, les taux d’intérêt resteront globalement bas mais pourraient connaitre une certaine volatilité, en fonction de l’évolution de l’inflation ou de la situation sanitaire comme c’était le cas fin 2021. De manière plus générale, l’excès d’épargne des ménages et des entreprises maintient une pression continue sur les taux d’intérêt en Europe.

Quel sera l’impact sur les classes d’actifs, à commencer par les obligations ?

L’attractivité des titres à revenu fixe restera une fois de plus maigre en 2022. La courbe des taux d’intérêt devrait rester dans une dynamique modérément haussière, à mesure que le cycle économique progresse mais le niveau absolu restera bas malgré tout. Dans ce contexte, les emprunts d’Etat ne devraient guère briller. Les obligations d’entreprises de qualité d’investissement conservent une certaine valeur relative mais les « spreads » de crédit demeurent encore fort serrés. La dette émergente de bonne qualité d’émetteur en dollars et couverte contre le risque de change en euros offre un peu plus d’attrait. Davantage de rendement est également possible avec les obligations à haut rendement mais avec un risque plus élevé. Globalement, les investissements illiquides à risque de crédit limité constituent encore une bonne alternative.

Qu’en sera-t-il des actions ?

Les performances boursières sont tonitruantes et ont, en apparence, de quoi donner le tournis aux investisseurs. Mais, la véritable bonne nouvelle en 2021 est venue des résultats de sociétés qui ont pulvérisé trimestre après trimestre les attentes les plus optimistes des analystes. Cela a encore été le cas pour les résultats au troisième trimestre malgré l’inflation et les goulets d’étranglement. Pourquoi ? Parce que beaucoup d’entreprises - pas toutes évidemment ni dans tous les secteurs - ont vu leur volume de ventes fortement progresser, grâce à une demande soutenue, et ont été capables de répercuter en bonne partie la hausse du coût de leurs approvisionnements. Résultat des courses : la hausse des cours boursiers en 2021 reflétait à peu de choses près la révision à la hausse des bénéfices attendus pour l’année 2022, ce qui signifie que les ratios de valorisation sont restés stables. Les actions ne sont donc pas plus chères qu’au début de l’année 2021. A la question de savoir s’il reste encore du potentiel de révision à la hausse des bénéfices pour les prochains trimestres, les analystes semblent répondre par l’affirmative au regard de prévisions actuelles pour les années à venir, jugées plutôt conservatrices. Cela est plutôt de bon augure pour la suite même s’il faut bien garder à l’esprit que le cru exceptionnel de 2021 ne sera probablement pas réédité en 2022. Le cocktail pandémieinflation-taux d’intérêt pourrait certes jouer les trouble-fête mais, espérons-le, en mode mineur. Nous nous attendons dès lors à un rendement modérément positif, compte tenu de la valorisation - les consolidations intermédiaires pourraient constituer de meilleurs points d’entrée.

Enfin, comment voyez-vous la situation à plus long terme ?

Certains éléments de notre mode de vie et de travail ont déjà changé. La vaccination massive a permis une large réouverture de l’économie mais certains secteurs demeurent vulnérables à la réinstauration de restrictions. Nous avons appris à vivre avec le virus et avec le Covid Safe Ticket pour bon nombre d’entre nous. D’autres mesures pour renforcer la sécurité sanitaire sont en gestation mais un retour complet à la normale n’est sans doute pas pour 2022. Ce contexte de prolongation de la distanciation sociale va encore accentuer la digitalisation dans davantage de domaines. Pensons, ne fut-ce qu’à l’intelligence artificielle, l’arrivée des véhicules électriques intelligents ou l’effervescence autour du potentiel de développement du métavers - future version d’internet où des espaces virtuels, persistants et partagés sont accessibles via une interaction 3D. Enfin, les défis liés à la transition énergétique et une meilleure prise de conscience de nos empruntes carbone sont susceptibles de transformer à terme certains de nos comportements