Ukraine : de la guerre militaire à la confrontation économique assumée

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Plus de deux semaines se sont écoulées et la guerre fait toujours rage sur le territoire ukrainien. Depuis le début de l'invasion russe le 24 février, plus de 2,5 millions de personnes ont déjà fui l'Ukraine, dont 116 000 étrangers, selon les Nations Unies. L'ONU estime qu'au cours des 6 premiers mois de l'offensive, 4 millions de personnes pourraient vouloir quitter l'Ukraine pour échapper à la guerre. Elle estime également que le conflit déplacera jusqu'à 6,7 millions de personnes en Ukraine, dont 4,3 millions auront un besoin urgent d'aide humanitaire. À ce stade, il reste très difficile de prédire ce qui va se passer dans les semaines à venir : d'une désescalade rapide si un cessez-le-feu est signé, à une intensification du conflit, ou à une impasse permanente, toutes les pistes de réflexion sont possibles. Les prévisions concernant l'impact éco​nomique et financier de cette confrontation dramatique sont donc toujours sujettes à caution. Néanmoins, nous souhaitons mettre en lumière certains développements récents importants.​

Embargo américain sur le pétrole russe et recherche de solutions alternatives

Joe Biden, qui a renforcé les sanctions économiques, a imposé une interdiction des importations de pétrole russe aux États-Unis. La guerre en Ukraine a rebattu les cartes et Washington cherche des alternatives au pétrole russe, quitte à revoir sa politique. Remplacer le pétrole russe, deuxième exportateur mondial de brut après l'Arabie saoudite, n'est pas une sinécure. Relancer le pétrole vénézuélien est une hypothèse. Mais la plupart des experts estiment que cela est irréalisable à court terme, étant donné l'état de délabrement de l'industrie vénézuélienne. Un autre revirement de situation serait la résurrection d'un accord nucléaire avec l'Iran, qui permettrait au pays d'exporter à nouveau, dès cet été, son pétrole. De son côté, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a annoncé que ses États membres allaient libérer 60 millions de barils de pétrole de leurs réserves d'urgence pour stabiliser le marché, mais cela ne représente que 4 % de ses réserves. Les Émirats arabes unis ont déclaré qu'ils travailleraient avec leurs partenaires du cartel élargi pour augmenter la production. Leurs commentaires interviennent à un moment où l'OPEP+ est appelée de toutes parts à ralentir la flambée des prix du brut provoquée par la guerre en Ukraine. Compte tenu du rôle moteur de la Russie, l'approche consistant à ouvrir les vannes au compte-goutte n'a pas changé. Bien qu'en théorie les volumes de production devraient augmenter à partir d'avril, dans la pratique, l'alliance Opep+ n'est pas en mesure d'atteindre son quota, ce qui contribue au déficit et alimente davantage la hausse des prix.​

Nouvelle envolée des prix de l’énergie

Les nouvelles sanctions économiques contre Moscou ont fait flamber les cours du gaz, du pétrole et d’autres matières premières. En amont de la décision de l’embargo américain, le baril de Brent a brièvement dépassé les 130 dollars avant de se stabiliser par la suite à 110 dollars. Pour sa part, la Russie a mis en garde contre des « conséquences catastrophiques » pour le marché mondial de la mise en place éventuelle d’un embargo de l’ensemble des pays occidentaux sur le pétrole russe. Dans la foulée de l’envolée du prix de l’or noir, le prix du gaz européen a atteint un nouveau sommet avant de se corriger à des niveaux plus bas. Cela étant, les prix de l'énergie restent très chers en termes absolus et plus élevés qu'avant le début du conflit. Il y a donc une prime de guerre intégrée dans les cotations.​

Scénario de base : vers une période prolongée de croissance plus faible et d’inflation plus élevée

Conformément à ses déclarations préliminaires sur l'impact économique du conflit en Ukraine, la BCE (Banque Centrale Européenne) a révisé modérément ses prévisions de croissance à 3,7 % (-0,5 %) en 2022, 2,8 % (-0,1 %) en 2023 et 1,6 % (inchangé) en 2024, et a relevé ses prévisions d'inflation à 5,1 % (+1,9 %) en 2022, 2,1 % (+0,3 %) en 2023 et 1,9 % (+0,1 %) en 2024. Le scénario de base suppose que les perturbations actuelles de l'approvisionnement énergétique et la baisse de confiance sont temporaires et que les chaînes d'approvisionnement mondiales se rétablissent. Toutefois, la BCE a également élaboré deux autres scénarios. Un « scénario défavorable » et un « scénario sévère », qui diffèrent en termes de sanctions, de commerce, de confiance et de perturbation de l'approvisionnement énergétique. Par rapport au scénario de base actualisé, l'impact serait surtout négatif en 2022, partiellement négatif en 2023 et même légèrement positif en 2024. La BCE ne mentionne nulle part une stagflation ou une récession. Cela peut sembler optimiste, mais il ne faut pas oublier que l'économie européenne a surmonté la pandémie beaucoup plus solidement que prévu et a fait preuve d'une grande résilience, grâce aux mesures de soutien que les gouvernements européens semblent avoir à nouveau en préparation. Nous sommes un peu plus prudents que la BCE, en supposant une période prolongée de croissance plus faible et d'inflation plus élevée ("slowflation"). Selon nous, les conséquences de la guerre en Ukraine pourraient être plus importantes au cours des deux prochaines années, avec un impact négatif sur la croissance (-1 % en 2022 soit 3 % ; -0,5 % en 2023 soit 2 %) mais positif pour l'inflation (+3 % en 2022 soit 5,5 % ; +0,5 % en 2023 soit 2,5 %).​

Banques centrales : rester crédibles, vigilantes et flexibles

Lors de sa dernière réunion, la BCE a laissé entendre qu'elle continuait sur la voie de la normalisation de sa politique monétaire. Elle s’est toutefois gardé une porte de sortie ouverte en cas de dégradation de la situation économique. En outre, Christine Lagarde, sa présidente, a expressément souligné que les hausses de taux d'intérêt ne devraient être que progressives. Outre-Atlantique, la croissance aux États-Unis semble peu affectée par le conflit. Toutes les conditions sont réunies pour donner le feu vert à un relèvement des taux d’intérêt, comme l'a essentiellement confirmé le président de la Fed. Ainsi, malgré les incertitudes économiques causées par la guerre en Ukraine, les banques centrales laissent l’initiative aux gouvernements pour soutenir l'économie et se concentrent elles-mêmes sur la lutte contre l'inflation.​

Vers une autonomie stratégique européenne

Alors que Washington et Londres ont décidé de mettre un terme aux importations de pétrole et de gaz russes, l'Union européenne (UE), qui est beaucoup plus dépendante, n'est pas prête à suivre le mouvement mais prévoit de réduire de deux tiers ses achats de gaz à la Russie cette année. La Commission européenne (CE) présentera d'ici avril une proposition législative visant à rendre obligatoire la reconstitution des réserves de gaz de l'UE pour la fin septembre. Elle veut non seulement accroître l'utilisation de l'hydrogène et du biométhane, mais aussi diversifier ses approvisionnements en gaz avec des importations croissantes en provenance de Norvège, des États-Unis, du Qatar et d'Algérie entre autres. Pour l'instant, elle veut atténuer l'impact de la hausse rapide des prix sur les ménages et les entreprises par une série de mesures telles que la régulation des prix, les aides directes, les réductions d'impôts, la suppression de la TVA, etc. En outre, la CE autorisera les États membres à taxer les bénéfices des entreprises énergétiques pour les redistribuer et envisage un plafonnement temporaire des prix de l'électricité. À plus long terme, les dirigeants de l'UE ont convenu de travailler sur un plan visant à mettre fin à la dépendance de l'UE à l'égard de la Russie pour les combustibles fossiles d'ici 2027, avec une première étape sur le pétrole déjà à la mi-mai. L'UE cherchera également à améliorer la sécurité alimentaire en réduisant sa dépendance à l'égard des importations agricoles. Enfin, l'Europe va désormais investir beaucoup plus dans la défense. Les discours politiques sont très volontaristes : c’est peu à peu le retour du « quoi qu’il en coûte » qu’on avait connu avec la pandémie. À notre avis, le risque de ne pas en faire assez semble l'emporter sur le risque d'en faire trop. Il faut maintenant que les actes suivent les paroles.​

Garder la perspective de long terme pour les actions

Après une chute d’environ 15 % à 20 % des principaux indices européens par rapport à leur sommet de janvier, les marchés d’actions sont positionnés pour des perspectives très sombres. En peu de temps, les valorisations ont très nettement corrigé. Par exemple, le ratio cours/bénéfices de l’indice MSCI EMU est passé de 15,6x avant la crise sanitaire à 12,7x dernièrement, ce qui signifie que les actions européennes sont devenues 20 % moins chères. En conséquence, la prime de risque des actions a sensiblement grimpé. Les questions qui reviennent le plus souvent dans l'esprit des investisseurs en ce moment, sont de savoir si l'économie européenne s’achemine vers une période de stagflation ou est susceptible de retomber en récession, et si de tels scénarios sont déjà pris en compte dans les cours des actions européennes. Dans le cas d'une stagnation ou d'une stagflation modérée, on pourrait supposer une croissance nulle des bénéfices, ce qui impliquerait un ratio cours/bénéfices de 14,1, conforme à la moyenne sur 15 ans, période durant laquelle les bénéfices n'ont pas beaucoup augmenté. Nous pouvons donc conclure que les prix des actions ont intégré un degré important de stagnation, voire de stagflation modérée. En revanche, en cas de véritable récession, les marchés boursiers pourraient chuter davantage. Toutefois, notre scénario de base est une période prolongée de croissance plus faible et d'inflation plus élevée (« slowflation »). Et n'oublions pas que même dans son scénario le plus pessimiste, la BCE n'envisage pas de stagflation ni de récession. Le contexte et les perspectives restant très incertains, on peut s'attendre à ce que les marchés financiers restent volatils avec de fortes baisses suivies de forts rebonds en fonction de l'évolution de la guerre, des sanctions et des prix de l'énergie. En tout état de cause, l'investisseur en actions européennes doit garder à l'esprit que le rendement annuel moyen est d'environ 5-6-7% sur le très long terme, dont la moitié environ provient des dividendes versés.​

Impact sur le portefeuille d'investissement d'AG

Dans les portefeuilles d'AG, il n'y a aucune exposition directe à la Russie ou à l'Ukraine. La seule exception est la petite position (environ 5 %) que représente la Russie dans le fonds Emerging Equity Fund en branche 23. Il va sans dire que le comité d'investissement et les équipes spécialisées dans les investissements et les risques d'AG continueront à surveiller les développements géopolitiques et leur impact sur les marchés financiers et à prendre les mesures appropriées pour protéger les portefeuilles d'investissement.​

À propos de l'auteur

Olivier Colsoul

Senior Strategist
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Depuis 25 ans, Olivier Colsoul endosse diverses fonctions liées à l’investissement : analyste en actions, gestionnaire de portefeuilles, analyste de fonds de tiers et économiste au sein de différentes institutions financières de renom. Depuis 2020, Olivier est Senior Strategist chez AG. Il élabore la stratégie globale d’investissement à court et long terme d’AG, à travers l’analyse des développements macro-économiques et l’évolution des marchés financiers.

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